Portraits
Samir Nasri, 19 ans. Le nouveau meneur de jeu de l'OM, en finale de la Coupe de France demain, a grandi à Marseille. Comme Zidane, auquel on le compare souvent.
Petit OM deviendra grand A Marseille, la trombine de Zidane, longtemps en affiche Adidas sur la Corniche, a été remplacée par une pub, affreuse, pour Coca. Osons une proposition : pourquoi ne pas y mettre Nasri, en photo géante, face à la mer ? Il le mérite. Sur une pelouse, combien de joueurs de Ligue 1 peuvent sortir victorieux d'un trois contre un ? Pas bézef. Lui, si. Et tête haute. Vision du jeu, art du décrochage, protection du ballon, lucidité, petits coups de patte, beauté gestuelle... A l'OM, le minot-culot est un des boss, meneur de jeu, alors qu'il n'a pas 20 ans. Une comète d'espoir dans une ville de foot qui, depuis 1993, rumine son blues. Il y a quatorze ans, Nasri en avait cinq, l'OM gagnait l'ancêtre de la Ligue des champions, premier et seul club français, avant de tomber au purgatoire. Depuis, aucun trophée. Alors, samedi soir, pour la finale de Coupe de France, contre Sochaux, tout Marseille y croit. Avec Nasri à la baguette.
International depuis mars, il pourrait la ramener, roublard avec un petit oeil de malice. Au foot, la malice, c'est ce qui fait gagner, dirait La Palice. Mais il la joue modeste, avec son gabarit non body-buildé (1,79 m pour 73 kilos), et son 22 dans le dos. Restait plus que ça, comme numéro, à l'OM, quand il est passé pro. 22, v'là Nasri ! C'est aussi le numéro de Kaká, le génie du Milan AC, qu'il admire. Nasri se rêverait plutôt en 10, comme Maradona. Mais sera-t-il encore à l'OM pour le porter ? Pas sûr. Amis marseillais, voici le hic : une légende est née, et elle risque de bientôt partir. En attendant de savoir où il ira, on sait d'où il vient : de la Gavotte-Peyret. Trois tours et quelques barres, une cité de Septèmes-les-Vallons, commune qui touche Marseille, pas loin des quartiers nord. N'essayez pas d'y aller, vous êtes sûr de vous paumer. Zidane vient de la Castellane, Nasri de la Gavotte-Peyret. Bon, on arrête les comparaisons, ça le gonfle : «C'est un honneur, mais ça met une pression énorme sur mes épaules.» Il admire Zidane, qu'il trouve «simple, humble, super gentil, présent, disponible». Mais «Nasri c'est Nasri, Zidane c'est Zidane, y en aura pas deux comme lui». Circulez comme le ballon dans leurs pieds.
Son père est né à Marseille, sa mère à Salon-de-Provence. L'Algérie de ses grands-parents, également résidents français, lui paraît lointaine. Il comprend l'arabe, mais ne le parle pas. Samir s'est rendu là-bas petit. Pas trop d'attaches, pas trop de souvenirs. Il veut y retourner, pour voir, «se ressourcer». Pour l'heure, Samir vit dans la cité qui l'a vu naître. «La Gavotte-Peyret, c'est son sanctuaire, dit Hocine ben-Saïd, directeur du centre social . C'est ici où on lui casse le moins les pieds. Ses voisins le voient comme il était avant.» La vie en cité ? Nasri a suivi les révoltes de l'automne 2005 avec un double regard : «C'était un moyen pour eux de s'exprimer. Faut les comprendre : des années qu'ils galèrent. Mais je pense que ce n'est pas le meilleur moyen.» Il veut montrer, par son parcours, que «quand on croit en quelque chose, tout est possible». Mais il n'est peut-être plus pour longtemps dans la cité. Car Sam achète «une belle et grande maison» à ses parents. Une sorte de Sam'suffit ? Il en a toujours rêvé pour eux. «Mais mes parents ont du mal à s'y faire, dit Nasri. A la cité, on a nos habitudes. On s'entraide. Il y a un côté familial avec tout le monde. Mais ils seront bien obligés de la quitter, qu'ils le veuillent ou non...» Ça va faire un choc à sa mère. Déjà qu'elle n'aime pas le foot : plus de 80 matchs en Ligue 1 du fiston, et Ouassila, mère au foyer, n'est venue que deux fois au Vélodrome...
Côté business, Samir a créé une société, pour gérer son image. Ses parents sont ses employés. Avant, son père, Hamid, faisait l'ouvrier, le chauffeur de bus. Maintenant, il conduit son fils à l'entraînement. Parti acheter une veste avec son paternel, Samir a reculé devant le prix : «C'était un manque de respect envers lui que de l'acheter, vu le salaire qu'il gagnait avant.» Papa Hamid a joué au foot, aussi. Mais, d'après le fiston, il se prenait le chou avec les arbitres. Suspendu. Pas le genre de Samir. Question foot, sa soeur Sonia, 13 ans, ne joue pas, et Samir l'aîné a briefé ses frères : les jumeaux Malik et Walid, 9 ans, peuvent s'amuser, mais ils n'ont guère de chance d'aller plus loin. Alors, qu'ils pensent surtout à l'école, pas comme lui. Samir tapait si bien dans le ballon qu'il s'en est tapé, de l'école. Bilan : il le regrette. Mais il est footballeur. Heureusement. Sinon, il serait comme la majorité des gaillards sortant de centres de formation, déçu. De sa promo à l'OM, trois sur quinze sont pros, dit-il. Apprentis footeux, suivez le conseil de maître Nasri : soyez bons à l'école.
Précoce, il a tout fait très bien et très tôt. Freddy Assolen, observateur pour les jeunes à l'OM, l'a engagé à 9 ans : «On m'avait dit, aux Pennes-Mirabeau, il y a un petit jeune intéressant. Je suis tombé sur un joueur phénoménal. Surdoué. Je ne l'ai pas lâché.» Assolen l'a amené à un tournoi en Italie, avec le Milan AC, la Juventus. «Il a été très bon. Le gars du Milan m'a dit, en boutade : "Le petit, il reste là, il repart pas."» Avec les jeunes de l'OM, Nasri a vite pris l'ascendant. «A chaque match dur, c'est lui qui débloquait la situation, raconte Assolen. Toujours le leader, number one. En plus, intelligent, toujours à l'écoute, super encadré par ses parents. Il a tout pour lui. Et il n'a jamais pris la grosse tête, alors que, depuis tout jeune, il a les plus gros clubs sur lui.»
Un de ses plus grands exploits, il l'a accompli le 22 avril, au bureau de vote. Premier tour, premier vote. Il ne dira pas pour qui. Reste prudent. Sera-t-il plutôt Zidane passe-muraille ou Thuram grande gueule ? Va savoir. Tout juste glisse-t-il, quand il a vu la campagne présidentielle partir sur des histoires de fierté nationale : «Il y a bien d'autres problèmes à régler avant de sortir son drapeau le 14-Juillet.» Il a conscience que le fric qu'il gagne, ça fait beaucoup. «C'est le système. Mais des fois, je n'en reviens pas.» Maintenant, le pognon, «on fait avec, on ne va pas se plaindre». Pour faire fructifier tout ça, il a pris un nouvel agent, Alain Migliaccio. Celui de Zidane. Bon, on arrête les comparaisons.
Ce nouvel agent, «ça ne veut pas forcément dire un transfert la saison prochaine», assure-t-il. Il est en contrat à l'OM jusqu'en 2009, il risque de partir avant. On dit que l'Inter s'intéresse à lui. Il élude : «C'est flatteur, mais l'Inter ne m'a pas appelé sur mon portable.» Jusqu'ici, tout a toujours marché comme dans un rêve. Mais il sait que «le plus dur commence». Il va falloir confirmer. Sur le terrain, et en dehors. Rouler plus des mécaniques. Pour l'instant, il fait toujours le petit gars fluet, en tee-shirt Paul Smith, pas frimeur, propre sur lui, sans grand signe extérieur de richesse. Dans quinze ans, quand il aura gagné une Coupe du monde, sera devenu ballon d'or, ses rêves avoués, il aimerait qu'on dise : «Il est resté simple», malgré tout. Tout comme Zidane ? On arrête les comparaisons, ça le gonfle. Enfin, son portrait sur la Corniche, on est pour.
http://www.liberation.fr/transversales/portraits/253040.FR.phpTrès bel article