Azouz Begag a démissionné le 5 avril du poste de ministre délégué à la promotion de l'égalité des chances. Il est l'auteur d'un livre* qui raconte son épopée au gouvernement et ses rapports, exécrables, avec l'ancien ministre de l'Intérieur, candidat de l'UMP à la présidentielle. Il explique les raisons de son départ.
Est-ce vous qui avez choisi de démissionner du gouvernement ou y avez-vous été contraint ?
> C'est ma décision, et j'y avais réfléchi longtemps à l'avance. Dans la mesure où je voulais faire un geste politique avec la sortie de mon livre "Un mouton dans la baignoire", avec les critiques qu'il comporte envers le monde politique, je ne pouvais pas rester au gouvernement.
Quand avez-vous commencé la rédaction du "Mouton dans la baignoire"?
> Peu de temps après les violences urbaines de 2005. Tout d'un coup, après ma critique publique des propos de Nicolas Sarkozy, la "racaille" et le "Kärcher", je suis devenu un homme infréquentable dans le Sarko-système. J'ai été placé sous l'étouffoir pendant dix-huit mois.
Pourquoi avez-vous précipité votre départ du gouvernement alors que sa fin est toute proche ?
> Chacun des ministres a sa responsabilité. Je considère pour ma part que François Bayrou est l'homme de la rencontre d'un peuple et de son président. Avant de dire mon choix, j'ai laissé le premier ministre se prononcer après le président de la République. Tout deux ont décidé d'apporter leur soutien à Nicolas Sarkozy. Ce n'est pas mon cas.
La sortie du "Mouton dans la baignoire" est-il un pied de nez à Nicolas Sarkozy à quelques jours du premier tour de la présidentielle ?
> Non, pas du tout. Vous savez, quand on est un ministre d'origine arabe, c'est dur. Ce livre, je voulais aussi le présenter comme une histoire personnelle qui servirait à d'autres qui viendraient derrière moi et qui occuperaient des fonctions pareillement difficiles. C'est une carte des récifs et des balises à connaître quand on rentre dans ce métier. Ça sert aussi à informer les Françaises et les Français de ce que j'ai vu du candidat Sarkozy, de ce que j'ai ressenti de lui, l'être humain, en tous les cas de ce qu'il en reste. Je n'ai pas de revanche à prendre, ni contre Sarkozy, ni contre la vie.
Quelles sont les paroles les plus dures que vous ait dites l’entourage de Nicolas Sarkozy ?
> Ce sont des mots de Brice Hortefeux, le bras droit de Nicolas Sarkozy. "Allez, fissa, sors de là, dégage d’ici ! Je te te dis dégage !". Il me les a dits le 11 octobre 2006 à l'Assemblée nationale. Nous étions assis à trois rangs l'un de l'autre. Mais auparavant, tout au long de l'année précédente, Nicolas Sarkozy me disait à chaque fois qu'on se retrouvait au conseil des ministres: "Ah! Tu es encore là, toi!", sous forme de boutade. Au bout de la dixième semaine, ça commençait à faire beaucoup.
Une autre fois, au moment du projet de loi sur l'immigration, il menace de vous "casser la gueule".
> Oui, c'était le lendemain d'un jour où j'avais déclaré à Marseille que je ne m'appelais pas Azouz Sarkozy, et que si des gens avaient des questions à propos de ce projet de loi il fallait qu'ils s'adressent à Nicolas Sarkozy.
Avez-vous rendu compte de ces agressions verbales à quelqu'un ?
> J'en ai informé directement l'Elysée et Matignon. Je ne dirai pas de noms.
Que vous ont répondu l'Elysée et Matignon ?
> Qu'il ne fallait pas tenir compte de ces agressions. Qu'il fallait laisser couler. Moi, j'ai laissé couler l'encre de mon stylo.
A vous entendre, on a l'impression que Nicolas Sarkozy représente un danger pour la France.
> Quand un individu, ministre de l'Intérieur, affirme devant un parterre de ministres, que moi, Azouz Begag, j'ai des antécédents psychiatriques, quand il déclare qu'il faut associer immigration et identité nationale dans un même ministère, alors oui, je dis que cet individu est dangereux. Quand un homme comme lui a la maîtrise et le soutien de tant de pouvoirs médiatiques et économiques, et qu'il peut, avec cela, marquer son emprise totale sur la société française, sans supporter la moindre contestation, alors oui, je dis que cet homme est dangereux. C'est un devoir personnel et politique majeur que d'informer les électeurs avant l'élection. Si je laisse faire, je pourrais être accusé de non assistance à pays en danger.
D'après vous, Nicolas Sarkozy, qui ne cache pas ses origines hongroises, se sent-il plus français que les Français originaires du Maghreb et d'Afrique noire ?
> Il oublie une chose majeure, c'est que tous ces Arabes et tous ces Noirs qui sont en France ont des grands-parents qui ont donné leur sang en 14-18 et en 39-45 pour la libération de la France. Au titre du sang versé pour la patrie, il devrait avoir plus de respect vis-à-vis de ces "racailles" et de ces gens qu'il veut nettoyer au "Kärcher". Je remarque qu'il n'a aucun scrupule pendant ces élections à jeter en pâture l'immigration, comme l'a fait Le Pen depuis 25 ans. Moi, je ne veux pas que l'immigration serve de chair à canon électorale.
Dans votre livre, vous écrivez qu'au gouvernement vous n'aviez au début ni ministère, ni moyens, ni administration. Dans ce cas, pourquoi êtes-vous entré dans l'exécutif ?
> Parce que je tenais à transformer les thèmes de l'intégration en égalité des chances.
Comment expliquez-vous qu'on ait très peu entendu parler de vos actions en faveur de l'égalité des chances ?
> J'ai été victime d'une fatwa médiatique éhontée de la part de plusieurs journaux et chaînes de télévision.
En raison d'un jeu de pouvoir ?
> Evidemment. Beaucoup de journalistes, ayant reçu des pressions, se sont autocensurés. C'est scandaleux alors que tout le monde parle aujourd'hui d'égalité des chances et de diversité. Et l'on n'associe pas mon nom à tout cela? J'ai eu aussi le malheur de faire de l'ombre à M. Jean-Louis Borloo (ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement, ndlr). Cet homme a tout fait pour me savonner la planche et pour n'accorder aucun crédit à ce que je faisais.
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