Arthur Moses, l’homme qui valait 13MF
« On n’est pas dans un monde normal à Marseille ». La phrase est lâchée par Jean-Michel Roussier, ex-président délégué de l’OM entre 1995 et 1999, à la barre de la 6ème Chambre Correctionnelle de Marseille, face au vice-Procureur de la République Marc Cimamonti.
Aujourd’hui, elle prenait toute sa dimension.
Le transfert du ghanéen Arthur Moses se veut révélateur d’un système durant ladite période de1997 à 1997. Surfacturations de la part du club, fausses offres d’achat pour gonfler le prix du joueur, suspicion sur les nombreux intermédiaires qui agitent ces transactions financières pas vraiment comme les autres. Et surtout, un argent qui coule à flot, symptômatique de la gestion de RLD à cette époque. Il ne regarde pas le montant demandé par les dirigeants qu’il a mis en place, il ne gère pas vraiment tout ça lui-même, n’est pas présent à Marseille et ignore donc beaucoup de choses , ce qu’il n’hésite pas à répéter dès lors que le président lui demande un éclairageprécis.
Des agents qui n’en sont pas, des sociétés qui encaissent le montant des transferts, des sociétés off-shores à gogo, un Courbis suspecté de s’être servi au passage pour complémenter des salaires etc… voilà le menu de cette deuxième journée d’audience.
Les prévenus sur cette affaire Moses sont RLD, Jean-Michel Roussier, Charles Camporro (ex-directeur sportif aux Girondins) mais surtout Rolland Courbis et Rolf Wegener, un mystérieux agent de joueur non-agréé FIFA. Il est question de faux en écriture et usage, de commissions occultes. Wegener est prévenu de retrocession de fonds via un Cabinet d’avocats, Engl&Tilmann basé à Dusseldorf, qui est censé être mandaté par le club propriétaire pour traîter les transactions financières. Un mélange des genres toutà fait interdit en France.
Rolf Wegener, citoyen allemand, a exercé des activités dans son pays mais aussi à Monaco de 1997 à 1999. Il crée Pointline à Lagos (Nigéria) avec un ami avocat. C’est une société dont le siège est basé au Liechtenstein et ayant pour vocation de gérer le sponsoring de joueurs africains alors libres de droits. Logés blanchis et nourris, ces joueurs doivent en retour une partie de leurs salaires et des primes à Rolf Wegener. Ils sont la propriété de Pointline et ont un statut de domestiques. Ce fût le cas d’Arthur Moses.
Wegener et Courbis se connaissent depuis le transfert de Moses à Toulon, où Courbis fût entraîneur.
Arthur Moses a fait l’objet de 2 transactions entre l’OM et son club d’alors, le Fortuna Dusseldorf. Prêté à l’OM en 1997 puis transféré en 1998, cette double transaction met en avant la part d’ombre régnant autour des mouvements financiers à l’OM.
En 1996/1997, il est prêté par Dusseldorf au FC Toulon, pour la somme de 400 000F. Mais le club varois n’a pas les moyens de le conserver et cède son option d’achat à l’OM jusqu’au 30 juin 1997 .
Moses signe un contrat de prêt à l’OM avec un salaire de 120 000F/mois, le 12 août 1997. La date de l’option d’achat éest passée et le montant versé pour l’opération s’élève à … 3Millions de francs !
Ce transfert est matérialisé par un contrat de la LNF, signé par Jean-Michel Roussier et le président de Dusseldorf. Marseille possède aussi une option d’achat, à lever entre le 15 et le 30 mai.
Le contrat est signé par Roussier et Dreyfus le 17 octobre 1997 : 3 MF sont versés à Engl-Tilmann, mandaté par le Fortuna Dusseldorf pour le prêt du joueur.
Selon un protocole daté du 12 août, si Fortuna n’a pas de proposition d’achat au 14 mai98, l’OM peut recruter Moses pour 3MF.
Une autre clause, la plus importante, mentionne que si une proposition supérieure était formulée, l’OM devra s’aligner. L’offre ne peut dépasser 10MF. L’OM devra donc verser dans ce cas 7MF s’il veut lever l’option. (3Mf+7M).
Comment un joueur prêté pour 400 000 F à Toulon peut-il valoir 3MF pour le même prêt à l’OM ?
« La valeur d’un joueur ne dépend que de la taille du portefeuille de l’acheteur » justifie JM Roussier. Ce contrat, pas vraiment intéressant pour l’OM, a par contre interessé ses dirigeants.
C’est d’autant plus étonnant car le joueur visiblement ne faisait pas l’affaire sur le terrain non plus. « à 10 MF, s’il fait une bonne saison, ce n’est pas un risque » lance Roussier, avant de tenter une comparaison osée avec le transfert de Didier Drogba. Le règlement FIFA impose un règlement direct au club : les sommes ont été versées à l’intermédiaire Rolf Wegener et au cabinet Tilmann. Avec une fausse naïveté, le Président Turbeaux fait remarquer la singularité de la transaction : « Est-il normal de payer quelqu’un qui n’est pas contractant ? » Car dans l’histoire, le club de Dusseldorf n’a rien touché.
Autre fait étonnant : les dirigeants marseillais n’ont jamais cherché à savoir où était parti l’argent. Une imprudence qui aiguise la suspicion de la Chambre.
D’autant que la FIFA impose un agent français aux club hexagonaux… l’OM a réglé le montant à un cabinet d’avocats étrangers.Légal ailleurs mais pas en France.
L’intermédiaire qui jouerait le rôle de l’agent, Rolf Wegener, n’est pas agréé FIFA mais est mandaté par le club pour gérer les intérêts de Moses.Il est mandaté par le club et conseiller de Moses alors qu’il n’est pas agent.Le club de Dusseldorf a mandaté Engl&Tilmann pour la transaction. Légal là-bas, pas ici.
Les dirigeants marseillais semblent ne jamais avoir rencontré les dirigeants du Fortuna, ni le cabinet Tilmann, et n’est pas passé par les services d’un agent puisque Wegener n’en a pas le statut. « Je trouve que ça ne fait pas très sérieux » lâche le Président, devant le manque de rigueur du staff de l’OM.
La convention du 12 août 97 dispose aussi d’une clause fourre-tout : « Les termes sommes de transferts ou montant des transferts reprennent la somme des trasferts proprement dits, ainsi que d’autres prestations éventuelles convenues en récompense du transfert du joueur. »
De ce montage financier, RLD affirme ne rien savoir. Ni que le versement n’avait pas été effectué vers le club vendeur. RLD pensait que le mandat du cabinet Tilmann était légal.
RLD a pourtant signé ce document, alors que d’habitude, il ne le fait pas.
Pierre Dubiton, ancien expert-comptable de l’OM, affirme avoir refusé pendant 1 mois de signer l’ordre de versement. Il a pourtant signé un ordre comparable, pour le transfert de Victor Agali.
Le Fortuna Dusseldorf n’a pas pris part aux négociations. Le club a juste été « informé » selon Wegener.
Autre fait étrange : L’OM engage Arthur Moses alors que le club n’est pas vraiment intéressé par ce joueur « honnête joueur de banc et de vestiaire » selon Roussier. Rolland Courbis veut Ibrahima Bakayoko, le joueur d’Everton. Courbis compte selon ses dires à propos de Moses, mais est convaincu que le joueur va signer ailleurs et que l’OM va le perdre. 10MF lui semble une somme normale pour ce joueur « qui serait devenu une vedette après 10 buts inscrits ».
Pour ne pas être doublé, l’OM fait signer un contrat à Arthur Moses et le garde sous le coude, « le garde au chaud » selon Roussier. La facture datée du 24 août 1998, révèle un montant de 13MF. Aucune trace du cabinet Tilman n’apparaît.
Pourquoi Arthur Moses a-t-il coûté si cher ?
La surévaluation du joueur est la conséquence d’une étrange cuisine. Du jour au lendemain, le prix du joueur passe de 3 à 10MF. La faute à une option d’achat apparemment volontairement non-levée...et à deux fausses offres de clubs concurrents.
Le but est d’incorporer dans le prix du transfert la prime au joueur (3 ou4MF), comme mentionné dans la clausse fourre-tout évoquée plus haut. R. Courbis connaissait les termes de la convention. Moses a affirmé avoir eu une promesse de prime de 2MF, jamais payée.
A compter du 15 juin 1998, date butoir de l’option d’achat, le prix sera de 9MF. 3 MF ont déjà été versés lors du prêt du joueur à l’OM la saison d’avant. 9MF sont payés en août.
3MF réglés en 97 + 4MF en 1998 + 5 MF en 1999 = 12MF versés à Tilman et Wegener, pas au club de Dusseldorf…
Mais le processus pour en arriver là est tout bonnement hallucinant :
L’OM est informé le 6 mai par Tilmann d’une offre formulée par un club même pas nommé pour Moses. Un offre de 3M de deutchmarks. C’est là que Rolland Courbis commence à craindre le départ du joueur dans un autre club. Mais cette offre est bidon.
Courbis demande à son ami bordelais Charles Camporro de faire une offre pour Moses. Un fax est envoyé le 14 mai, la veille de la date-butoir, au Fortuna pour signaler l’intérêt de Bordeaux pour Arthur Moses, pour un prix de 2M de Dollars (10MF). (somme équivalente aux 3M de Marks)
L’offre girondine est d’autant plus surprenante que Charles Camporro n’est non-seulement pas intéressé par le joueur…mais il n’a pas non-plus le pouvoir de le faire signer.
Courbis jure qu’il ne pensait pas « attirer des emmerdes à son ami avec cette histoire ». L’ancien directeur sportif de Bordeaux dit avoir fait cela « pour faire gagner du temps à l’OM ».
A aucun moment, les dirigeants de l’OM n’ont fait savoir au Fortuna Dusseldorf que l’offre bordelaise n’était pas valable ! RLD évoque son absence de Marseille et dit ne pas avoir « souvenance » ni des conditions ni de la prime à Moses. Enfin si, mais « beaucoup plus tard », contrairement à ce qu’il avait déclaré quand l’instruction l’a entendu.
Le prix du joueur n’était pas un problème pour lui. Il aurait donné l’argent nécessaire.
Le cheminement de l’argent de Marseille
C’est l’intermédiaire Rolf Wegener, via sa société Pointline, qui perçoit les 3MF relatifs au prêt de Moses pour la saison 97/98. Un compte bancaire ouvert à Monaco le 29 septembre 1997 par Wegener est crédité d’une somme correspondant aux 3M versés par l’OM. La somme provient du cabinet Tilman…
Et c’est Wegener qui perçoit donc l’argent dû à Point man. Un personne physique encaisse un versement destiné à une personne morale sans le justifier. Wegener retirera 1,296MF en liquide.
Wegener fera plusieurs opérations franchement louches aux yeux de l’accusation :
en novembre 98 le cabinet Tilmann crédite 1,5MF sur ce compte monégasque. 692 500 F seront retirés en espèces par Wegener.
Le 23 décembre, Tilmann vire encore 2MF.
Le 6 juin, 4,5MF sont virés à une société panaméenne… ce montant correspond au dernier virement de l’OM à Tilmann. Il est aussi question d’une société basée dans les Iles-vierges Britanniques… « Vous y allez souvent ? » demande le vice-procureur Marc Cimamonti ! « Vous devriez » conseille-t-il à Rolf Wegener !
Pourquoi autant de société offshore ? Pour l’exhonération fiscale certes, mais surtout afin de cacher la destination finale de l’argent…
La Chambre soupçonne le versement de compléments salariaux à Rolland Courbis, sources de rémunération occulte. Rolland Croubis crie au complot, se montre offensif envers « les mutins » comme il se plait à dénommer ceux qui, parmi les dirigeants auraient été selon lui jaloux de sa réussite.
RLD déclare qu’il croit Courbis « sur parole » et se dit « convaincu que Rolland Courbis n’a rien touché sur les transferts de joueurs ». Preuve de sa confiance, à chaque réunion provoquée par des soubresaults internes, Rolland Courbis a vu son salaire augmenté.
La situation contractuelle de Rolland Courbis sera passée au crible dans les prochains jours.