Très interessant de le voir s'exprimer sur ce sujet...
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ape Diouf : «Je suis une anomalie sympathique»
11/04/07 - Foot CitoyenLe mercredi est généralement le jour de votre rendez-vous avec le Président de l’OM. Cette semaine, OM.net vous propose de le lire s’exprimer sur un thème important, le racisme, à travers une interview passionnante qu’il a accordée dans le dernier numéro de Foot Citoyen.
«Quand on dit racisme dans le football, on pense à l’Espagne, à l’Italie, mais cela existe en France aussi. Il y a une certaine banalisation. Il y a un devoir de résistance à faire», explique Didier Roustan, responsable de l’association Foot Citoyen et directeur de la rédaction du magazine du même nom.
«Foot Citoyen agit à la racine. Notre but est d’éveiller, de faire réfléchir», poursuit-il. Fidèle à ses principes pédagogiques, éducatifs et informatifs, le numéro de mars-avril est en grande partie consacré au racisme, sous toutes ses formes, qu’il touche le joueur amateur, le benjamin, ou le professionnel. Un dossier complet, avec des prises de parole originales et pertinentes. Joueurs, entraîneurs, président, arbitre, éducateurs, historien, écrivain, sociologue. De nombreux acteurs s’expriment pour la première fois, tandis que deux jeunes footballeurs ont été invités à rencontrer Marie-José Chombart de Lauwe, ancienne résistante. Un véritable devoir de mémoire.
Pape Diouf apporte également son témoignage. Vous retrouverez ci-dessous son interview, en intégralité.
Le magazine Foot Citoyen est disponible sur abonnement uniquement (
www.footcitoyen.org)INTERVIEW
Pape Diouf : « Je suis une anomalie sympathique »
Sur son bureau, à sa droite, une pile de journaux… On y trouve France Football, bien sûr, mais aussi, et au dessus, Le Monde… Les sujets politiques et de société ne laissent pas Pape Diouf, président de l’OM, indifférent, et notamment quand il est question de racisme. Ancien journaliste, puis agent de joueur, il manie le verbe comme bien peu de présidents de clubs savent le faire et le prouve dans cet entretien, apportant son expérience et son analyse pointue de la situation…
Au cours de votre parcours de journaliste, agent de joueur et dirigeant de l’OM, avez-vous été victime du racisme ?
À partir de l’instant où l’on marque une différence raciale ou ethnique, forcément à un moment ou à un autre, on va être exposé à du racisme. Mais, il faut savoir faire la part des choses. Parfois, en compagnie de certaines personnes, je peux être l’objet d’un acte raciste dont je serai le seul à me rendre compte. Mais, dans ma vie, je suis
allé au-delà de ça, sans m’arrêter dessus, plutôt que de subir quelque complexe de persécution que ce soit.
Le regard des gens a-t-il changé entre l’époque où vous étiez le jeune journaliste noir qui débutait et aujourd’hui le président de l’Olympique de Marseille ?
Forcément ! Le racisme, bien souvent, est dirigé selon le statut social, avec plus ou moins de virulence. Lorsque j’étais jeune journaliste, je suscitais, dans un premier temps, plus de curiosité qu’autre chose : « Ce petit noir a quand même la prétention d’écrire dans notre langue à nous. » J’ai fini par m’imposer dans le paysage du journalisme à Marseille, en montrant simplement ce que je savais faire, ni plus ni moins. Aujourd’hui, la différence
évidemment est grande. Je suis beaucoup plus connu, mon visage ne passe pas inaperçu. Je suscite un autre type de mouvement que celui d’un racisme primaire, parce que le football est un formidable véhicule social. C’est vrai que l’on a plus envie de parler avec moi de football et de Marseille que de me rejeter.
On prendra plus facilement Didier Deschamps que Bernard Lama, parce qu’il répond plus facilement aux canons de la société.
Pourquoi dans le paysage du football hexagonal, voire européen, êtes-vous une exception en tant que seul président noir ?
Je ne suis pas une exception, je suis plutôt une anomalie sympathique. J’explique ce phénomène en regardant et en scrutant la société française et européenne. Il n’y a pas aujourd’hui une place faite aux minorités, quelles que soient les compétences dont elles peuvent être porteuses. Regardons le milieu du football : il y a beaucoup
de joueurs noirs qui exercent en club et en équipe de France. Mais en vérité, ce sont des instruments. On préfère tirer d’eux leurs qualités… les utiliser. C’est vrai que ces joueurs-là sont grassement payés, mais on les considère plutôt comme des faiseurs de spectacle… des porteurs de talents. Dans le cas de figure d’un joueur, la tricherie n’est pas possible… Quand un jeune noir ou un jeune arabe est très fort en football, et plus fort que le joueur blanc, ça saute aux yeux. Si on ne le prend pas, le concurrent le prendra. Dans ce cas, on ne voit que la rentabilité, ce dont on peut tout à fait se priver s’agissant de postes à responsabilité ou de direction.
On fait donc un choix…
Oui, on tient compte de certains critères qui ne disent pas trop leurs noms, mais qui sont raciaux, ethniques et autres, comme par exemple, ne pas prendre Bernard Lama comme entraîneur en dépit des compétences qui sont les siennes… On prendra plus facilement Didier Deschamps parce qu’il répond au canon de la société. Dans ce cas, la rentabilité immédiate n’est pas sanctionnée. D’ailleurs, c’est plus par un jeu des circonstances et par la volonté d’un actionnaire que je suis devenu le président de l’OM. Or je ne pense pas être plus mauvais ou meilleur qu’un autre. Je démontre en quelque sorte qu’être noir n’est pas forcément une tare pour ne pas vous confier une responsabilité. Les féministes disaient : « Il y aura égalité absolue entre homme et femme le jour où, aux postes importants, on nommera des femmes incompétentes… » En paraphrasant à peine, je dirais aussi qu’il y aura une véritable égalité raciale, le jour où à des postes importants on pourra nommer des Noirs ou des Arabes incompétents.
Donc, il existe une forme de racisme dans le football ?
Évidemment. Comment peut-on m’expliquer que dans le milieu du football français, où il y a tant de Noirs qui ont donné aux clubs français et la sélection nationale leurs lettres de noblesse…, que ces joueurs-là qui n’étaient pas pires que d’autres dans leur réflexion et dans la capacité de compréhension, subitement, en arrêtant leur carrière, deviennent moins intelligents ? Pour un Pape Diouf, anomalie sympathique, il y a Antoine Kombouaré, et avant lui Jean Tigana… ça ne va pas plus loin.
Pourquoi vous exprimez-vous si rarement sur le sujet ?
Parce que je me suis toujours méfié du communautarisme. Je n’ai pas envie de me présenter comme un Noir, mais d’abord comme un être humain. J’ai pour habitude d’oublier que je suis noir et que celui qui est devant moi est blanc. Je me trouve tout simplement devant
un être humain, dont je pourrais apprécier les qualités ou les caractéristiques. L’homme n’est, en vérité, que ce qu’il fait et ce qu’il est profondément. Je ne m’arrête jamais aux apparences parce que ça n’a pas de sens.
Le racisme n’est l’exclusivité d’aucune « race » et est libre d’être con qui veut
Vous auriez été plutôt un Malcolm X ou un Martin Luther King ?
Je crois qu’il faut toujours trouver un équilibre. Autant il y avait beaucoup d’idéalisme dans la démarche de Martin Luther King, autant il y avait peut-être trop de violence dans celle de Malcom X. Or il y a toujours un juste milieu à trouver. C'est-à-dire essayer de convaincre avant de contraindre... Je suis de ceux qui pensent que ce n’est pas parce qu’on crie haut et fort que l’on va se faire entendre mieux. C’est vrai que j’ai la peau noire et que vous avez la peau blanche… mais parmi les blancs il y en a de gros, de minces, de petits, d’autres aux cheveux longs… ces mêmes différences qu’on distingue dans une même « race ». Le racisme n’est l’exclusivité d’aucune « race » et est libre d’être con qui veut. La connerie peut être noire, blanche, jaune… Moi j’ai choisi de ne pas être con, donc pas raciste. Mais le racisme n’est pas l’exclusivité des blancs, c’est une connerie universelle.
Comment jugez-vous les sanctions infligées aux auteurs d’actes racistes ?
Certainement pas assez dures. Mais, comme je le disais tout à l’heure, cela participe de la bêtise humaine, de la même manière que deux jeunes noirs ou arabes voudraient profiter de leur week-end après une semaine de travail, veuillent aller dans une boîte de nuit et qu’on leur interdise l’entrée par pure discrimination. Elle n’est pas condamnée dans la mesure où ceux qui seraient le plus chargés de le faire, je parle des hommes politiques, ne le font pas, ou très
timidement. Il y a actuellement des thèmes porteurs électoralement. Ce type de défense là n’en fait pas partie, parce ce n’est pas rentable. On sait qu’il faut ménager chèvre et choux… essayer de se présenter en démocrate tout en surveillant ses arrières électoraux. Cela amène à des discours ambigus, à l’image de Laurent Fabius, qui pourtant est un homme très intelligent, à dire un jour : « Jean Marie Le Pen pose de vrais problèmes, mais il apporte de mauvaises réponses. » Voilà, le prototype même de l’ambiguïté quand il s’agit de parler de ces questions-là !
Il y a des jeunes noirs dans les banlieues qui se disent quand ils m’aperçoivent : “Ce n’est pas impossible pour nous aussi d’accéder à certains postes.” Ne serait-ce que pour ça, mon passage à la tête de l’OM n’aura pas été vain.
Autant chez les hommes politiques, on peut dire que certaines fins démagogiques les motivent, autant dans les clubs de foot, quelles raisons les pousseraient à ne pas sanctionner plus fortement ?
On peut toujours parler de défaillance dans l’art de gérer puisque les hommes qui sont à la tête de certaines entités ne prennent pas les mesures énergiques qu’il convient de prendre. Je pense que si les dirigeants de clubs et les institutions tapaient fort contre ce fléau, ils arriveraient à défaut de l’éradiquer, pas à le tuer, mais à l’éjecter des stades. Ce qui serait déjà un pas en avant. Mais pour résoudre cette violence, il faudrait utiliser l’art de l’explication et de la pédagogie. C’est vrai que c’est un long combat. Le fait que l’on puisse me voir à la tête de l’Olympique de Marseille m’a amené à considérer que je ne m’appartenais plus. Aujourd’hui, il y a des jeunes Noirs dans les banlieues, qui, quand ils m’aperçoivent se disent : « Mais finalement, ce n’est pas impossible pour nous aussi d’accéder à certains postes. » Ne serait-ce que pour ça, mon passage à la tête de l’Olympique de Marseille n’aura pas été vain.
Si un joueur de votre équipe décide de quitter le terrain suite à des propos racistes issus des tribunes… le soutiendriez-vous ?
De toute façon, je le soutiendrais. Mais il n’est pas dit que j’approuverais qu’il sorte du terrain. Peut-être qu’avec lui et d’autres, je réfléchirais sur d’autres moyens de se révolter. Car quitter le terrain, c’est arriver exactement à ce que voulaient ceux qui ont provoqué cette situation-là. Ça serait leur donner raison et, quelque part, les convaincre de recommencer. Parce qu’ils recommenceraient alors en se disant : « On a atteint notre but »
Et les institutions ne suivraient pas forcément la décision du joueur en donnant notamment match perdu à son équipe…De toute façon, je pense que les institutions sont dans l’ensemble très hypocrites. Il est certain que si un jour un joueur quittait le terrain, suivi par ses coéquipiers, ce serait un débat probablement très acharné au sein de ces institutions-là. Je pense que chaque situation doit représenter un cas spécifique. Par exemple le joueur qui traite son adversaire de « sale noir », j’aurais tendance à lui répondre, s’il est blond, « con de blond ». Ça va s’arrêter là. Il faut considérer les cas par cas, tout en intégrant cela dans un contexte général.
Prenons alors le cas des groupuscules organisés néo-nazis.
C’est là où en j’en arrive à faire le distinguo entre deux racismes. Il y a le racisme de tous les jours, le racisme ordinaire… Monsieur Dupont à qui on a appris que l’étranger était venu pour manger son pain, à qui on a dit que l’étranger était venu pour changer son mode de vie en important le sien. C’est la promiscuité sociale qui amène des tensions entre ethnies, ou entre « races ». Mais ce racisme-là n’est possible que parce qu’il y a à côté un racisme organique. Il est théorisé par de pseudo-savants ou de pseudo-intellectuels. Eux sont effectivement plus dangereux parce que toute leur théorie repose sur le fait qu’il y ait une supériorité d’une « race » humaine… là c’est beaucoup plus dangereux. Hélas, ce racisme se propage petit à petit de cette manière et se vulgarise. C’est celui-là qu’il faut combattre, certes difficilement, car on vous dira que cela participe au débat d’idées. Souvent d’ailleurs, ses partisans ont l’intelligence pour pouvoir contourner toutes formes de ripostes judiciaires. Mais il faut aussi avoir le courage face à ces gens-là de combattre et de réfuter leurs arguments.
Certaines idées reçues ont aussi la vie dure…
En effet, il y a parfois des apparences qui trompent. Il fut un temps où des spécialistes, même imminents et absolument pas racistes, définissaient le jeu des joueurs noirs. Par exemple pour Salif Keita, j’ai lu un jour les propos de Jean-Philipe Rethacker (ancien grand journaliste à l’Équipe) : « Ce joueur a une souplesse de la cheville exceptionnelle propre à sa race ». De premier abord, il n’y a a priori rien de violent. Cela part même d’un compliment ou d’une qualité. Ce journaliste, ne peut absolument pas être taxé de raciste, mais je lui ai dit : « Je ne suis pas d’accord avec toi ». Pourquoi ? En vérité, la souplesse de cheville de Salif Keita n’est pas propre à sa « race », elle est plutôt propre aux conditions de vie qu’il a connues jusqu’à présent. Quand Salif Keita joue sur un terrain vague en Afrique, il lui faut non seulement dribbler son adversaire, mais également dribbler un caillou, dribbler un arbre… à force de faire ça toute la journée, il finit effectivement par donner à sa cheville une souplesse qui apparaît de premier abord propre à sa « race », mais qui n’est en fait due qu’aux conditions de vie dans lesquelles il a évolué très longtemps.
On retrouve d’ailleurs souvent ce genre de clichés…
Dans tout. Par exemple, les Noirs dansent bien, les Noirs baisent bien… c’est des conneries tout ça. Mais, on en a fait des vérités. Si on accepte ces idées, il va suivre, incidemment, sans prendre garde, « mais ils ont la cervelle un peu plus petite aussi » et là, on rentre de plain-pied dans le racisme.
Extrait de "Foot Citoyen" n°12
OM.net