L'outrage fait à Achille Emana La crétinerie ordinaire ne connaissant pas de frontières, nul besoin de pousser jusqu'en Espagne ou en Italie pour constater qu'aucun stade de football d'aucun pays n'est à l'abri de la gangrène du racisme. Pas même le Stadium.
Ce match contre Rennes, Achille Émana en était sorti en cours de seconde mi-temps. Insatisfait de sa performance personnelle au bout d'une heure de jeu franchement pas folichonne et pendant laquelle chacune ou presque de ses interventions avait été accompagnée de bordées de sifflets. Trois poignées de main à ses coéquipiers du banc de touche et direction les vestiaires. Sans doute avec des idées de plus en plus arrêtées sur ses envies de nouveaux horizons.
Les critiques sportives - elles sont désormais le lot quotidien d'un joueur devenu le bouc émissaire dans un club où l'ambiance se fait de plus en plus délétère à mesure que les mauvais résultats succèdent aux mauvais résultats -, le milieu de terrain du Téfécé veut bien les entendre. Mais ce jour-là, l'attaque va se déplacer sur le champ nauséabond du racisme.
À l'issue du match, Émana regagne sa voiture, aux abords immédiats du Stadium. Comme à l'habitude, des enfants le pressent de dédicacer maillots, ballons, photos, un exercice auquel il se prête toujours de bonne grâce. Il est alors pris à partie vertement : « Au moment où je posais mon sac dans la voiture, il y en a un qui a d'abord crié « Mouille le maillot ! Tu fous rien ! » en venant vers moi. Je lui ai répondu que même dans la vie de famille, il arrivait qu'on traverse des moments difficiles ».
Loin de se satisfaire de cette explication, le pseudo-supporter déverse alors son fiel : « Le Téfécé n'a plus besoin de toi, espèce de sale nègre ! » Une demi-douzaine de personnes en profitent alors pour se joindre à lui et pousser des cris de singe. En colère et profondément attristé, Émana prend sur lui, calmé par des « vrais supporters » et cède à leur demande : il tourne les talons et monte à bord de sa voiture.
Certes, le Téfécé n'est pas confronté à ces démonstrations de racisme systématique et de stupidité crasse qui ont failli pousser Samuel Eto'o, le buteur camerounais du Barça à rendre son tablier.
Mais les injures encaissées par Achille Émana montrent qu'un verrou semble avoir sauté.
Régis Leconte, le chef de la sécurité du Téfécé est d'ailleurs contraint de confirmer la montée d'un climat malsain que des groupuscules d'extrême droite entretiennent, sinon amplifient : « Je ne veux pas donner de noms, mais on sent bien que derrière, il y a la présence de certains mouvements extrémistes », confiait-il hier, à l'heure où les joueurs du Téf se prêtaient à une séance dédicace, au Capitole.
Achille Émana était là. « Pour les enfants… Ils n'y sont pour rien, les enfants… Sinon je ne serais pas venu ».
J.-Louis Dubois-Chabert
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Une gangrène sur la plupart des terrains d'Europe Insultes antisémites à Eindhoven, salut fasciste à la Lazio de Rome, jets de bananes à Prague, cris de singe à Saragosse, injures racistes à Bastia… Aucun stade de la planète football n'est aujourd'hui à l'abri des débordements de supporters qui mêlent dans leur haine les (quasi) anonymes comme les champions adulés. De préférence quand ils sont noirs. Des larmes de Marc Zoro, défenseur ivoirien de Messine, au dégoût de l'attaquant Camerounais du Barça, Samuel Eto'o, les joueurs d'origine africaine, même fortunés, semblent condamnés à croiser sur les terrains de vieux fantômes aux étranges relents de jeux du cirque et d'esclavage. Pour tenter d'exorciser ces démons, Thierry Henry a lancé sa campagne « stand up, speak up » (1), relayée dans un vibrant élan de compassion par tous les médias qui vivent peu ou prou du football. Sans changer grand-chose. Les sociologues convoqués pour tenter une explication en donnent une commode : « Les stades ne sont que les lieux d'expression de la violence d'une société, donc du racisme ». Mais où commence la violence sur ce marché planétaire où le moindre crampon se vend, se cote, s'échange ? Des enjeux financiers toujours plus lourds relèguent avec leur assentiment (très bien payé) les joueurs au rang de marchandises ordinaires. Qu'il est finalement facile de mépriser. Et pas seulement dans les tribunes. Tel ce « Putain de fainéant de nègre », lancé à l'antenne par un consultant anglais dépité après une défaite de s londoniens de Chelsea. C'était pour Marcel Desailly sous le maillot du milliardaire russe Abramovitch. Et si les joueurs faisaient leur révolution ?
G.-R. Souillés
(1) Lève toi, fais-toi entendre.
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