MONDIAL 2006 • "La victoire de l'Italie est celle du néant"
Le grand cirque du football a clos son chapiteau sur un dernier match peu glorieux, où une faute énorme du meilleur joueur français, Zinédine Zidane, a répondu à l'antijeu italien, fait d'une multitude de petites fautes. La presse internationale dresse le bilan d'un mois de compétition.
"L'Italie a remporté la séance de tirs au but, et Cannavaro [le capitaine italien] a brandi la coupe. Cela figurera au palmarès. Et les Italiens ont pu faire la fête. Mais que personne ne parle de football. L'Italie n'a pas existé. C'est une toute petite équipe, destinée à l'oubli. Elle s'est réfugiée dans les cordes durant une heure. Elle a admis la totale supériorité de la France", déplore le quotidien espagnol El País, qui titre sa chronique consacrée cette 18e Coupe du monde de football "La victoire de l'Italie est celle du néant." Pour le journal ibère, "l'Italie n'a satisfait que les opportunistes, ceux qui se contentent de statistiques sans envergure. Car ce match fut un grand monologue de la France."
Le quotidien argentin Clarín fait le même constat. On n'a pas vu "beaucoup de football" en Allemagne. "Ce fut un Mondial sans surprise, sans révolution tactique ni équipe avec une grande faim d'attaque, tout le monde jouant avec le maximum de sécurité, y compris les deux finalistes." Et selon The Times de Londres, "cette édition s'achève sur une fin surprenante, car la France a largement dominé le match. De quelque manière qu'on tourne la question, les Bleus peuvent se targuer d'une victoire morale."
La morale n'est d'ailleurs pas ce qui étouffe les joueurs italiens. Le journal milanais Corriere della Sera n'en fait pas mystère en citant le milieu italien ultra-défensif de la Squadra azzurra Gennaro Gattuso, pour qui "sans le scandale, nous n'aurions jamais gagné". Le scandale en question secoue profondément l'Italie et concerne des matchs truqués avec des arbitrages partiaux en faveur de certains des plus grands clubs italiens, où jouent la plupart des tout nouveaux champions du monde. La Juventus Turin, le Milan AC, la Fiorentina et la Lazio de Rome devraient probablement être rétrogradés dans des divisions inférieures. La décision sera prise ce lundi ou dans les jours à venir. Le penalty totalement imaginaire sifflé à la dernière minute et qui a permis à l'Italie de vaincre l'Australie en huitième de finale n'a donc pas dû surprendre les Italiens.
D'ailleurs, relève El País, "cette compétition a privilégié le 'gattusisme' comme axe du football. Ce n'est pas la faute de Gattuso, mais le football meurt du gattusisme. Le jeu de Barcelone et de son école est extraordinaire. Le jeu montré par l'Italie constitue l'ordinaire. L'Italie à l'ancienne : tout une partie à ennuyer, et une minute pour gagner."
Le tout facilité par "un arbitrage pas à la hauteur", d'après Franz Beckenbauer, cité par l'International Herald Tribune. Pour l'organisateur du Mondial 2006, "les cartons jaunes ont été nombreux, mais les arbitres les ont sortis pour des fautes bénignes". En bon défenseur qu'il a été, le "Kaiser" regrette également les très nombreuses simulations – les Portugais et les Italiens ont été particulièrement brillants à ce petit jeu – dont il pense "qu'elles devraient être plus durement sanctionnées".
Le Temps de Genève s'interroge : "A-t-on eu droit à une bonne Coupe du monde ? Spectacle d'une infinie tristesse pour beaucoup ; blasphème au culte de l'émotion pure. Niveau tactique exceptionnel pour d'autres ; sommet du sport cérébral." Mais le quotidien suisse sort du cadre sportif pour le porter au niveau planétaire. "N'en déplaise à la Terre entière - quelque 32 milliards de téléspectateurs ont suivi le tournoi -, le football d'élite n'est pas un jeu. C'est souvent une affaire d'Etat. Tout du moins une industrie essentielle. Et à l'heure de la globalisation galopante, une Coupe dite du monde ne peut plus se soucier du plaisir ressenti par le petit artisan. Celui qui tricote ses dribbles en famille, qui mouille son maillot pour l'amour du beau geste."
Clarín va dans le même sens en reconnaissant que "l'endroit où se déroule la compétition n'a plus guère d'importance, puisque le Mondial moderne est, fondamentalement, l'exportation d'images et de sensations qui arrivent dans tous les points de la planète. Du coup, l'Allemagne s'est transformée en une compilation scénographique bien rodée destinée à la consommation mondiale."
Bien rodée est le moins que l'on puisse dire, estime le journal américain The Washington Post. "Le slogan du pays organisateur était 'Le moment de se faire des amis'. Si sur le terrain cela n'a pas été probant – 345 cartons jaunes et 28 rouges ont été distribués -, l'atmosphère autour du jeu a été à la hauteur du slogan. Le hooliganisme et les agressions racistes tant craintes n'ont pas eu lieu."
D'ailleurs, la Frankfurter Allgemeine Zeitung considère que "ce n'est pas tant de la qualité des matchs dont on se souviendra que de la joie de millions de gens de toutes les nations qui se sont amusés ensemble dans la république du football. Le véritable champion du monde, c'est le fan de foot. En Allemagne, il a découvert douze stades merveilleux et, partout dans les villes, les 'Fanmeilen' [lieux de rassemblement] avec écrans géants. La communauté internationale de ce sport est devenue plus jeune, plus féminine aussi. Le foot appartient à tous. Facile à comprendre et difficile à expliquer, il est devenu un bien culturel de l'humanité."
Le Temps abonde dans le même sens. "Même dans sa version coffre-fort, miroir d'un monde où la compétitivité prend le pas sur la fantaisie, le football demeure un formidable moyen de communication. Le ballon est un instrument qui permet de botter en touche, ne serait-ce qu'un mois durant, des choses bien plus sérieuses encore : la corruption en Italie, le trou de la sécu en France, la galère en Argentine, la guerre en Côte-d'Ivoire. Il donne l'occasion à l'Allemand de s'aimer enfin, au Suisse d'oublier son immobilisme contrit. Ce matin, tout est terminé. Le grand cirque a remballé son chapiteau. Il y a comme un vide au café du commerce. On se réjouit déjà de 2010. Alors, indigeste ou palpitant ce Mondial 2006 ? Peu importe, finalement : il a fait son œuvre."
Revue de presse internationale par Courrier International