LES SIFFLEURS ET LES MORALISTES
Pierre Martini - vendredi 3 mars 2006
Quand des journalistes sportifs s'offusquent des sifflets contre Barthez, qu'ils ont pourtant eux-mêmes largement encouragés…
Dans le football, les Tartufe se livrent une guerre sans nom, mais sans merci, pour mélanger avec le plus de science possible l'hypocrisie et la bonne conscience. La palme du mois revient incontestablement aux journalistes de L'Équipe qui ont réussi le tour de force de jouer les vierges outragées en réaction aux sifflets qui ont été dirigés vers Fabien Barthez.
Des chroniqueurs patentés à l'éditorialiste anonyme (1), on a fustigé les siffleurs en faisant mine de ne pas comprendre les raisons de leur geste. Il faut tout de même avoir un certain culot pour incriminer la seule bêtise des spectateurs, en faisant mine d'oublier la campagne massive menée depuis quelques semaines par le quotidien sportif (et son satellite France Football) en faveur de Grégory Coupet.
À coups de sondages, de gros titres, d'éloges vibrants et d'interviewes complaisants du portier lyonnais, les deux journaux ont réuni toutes les conditions propices au dénigrement de son rival marseillais… D'autre part, à force d'organiser le "duel" entre les deux gardiens, de mettre en scène leur "rivalité", de dramatiser le choix de Domenech (voir la Revue de stress du n°21 des Cahiers), quelle surprise y a-t-il à ce que des spectateurs s'emparent de ce débat en exprimant leur position de la manière la plus expéditive qui soit?
L'Équipe en son miroir
Car si cette manière est également la plus crétine (voir La psychologie du siffleur), il faut peut-être rendre un hommage minimal aux auteurs des sifflets: en effet, ils savent très bien que ces sifflets vont immanquablement être entendus, amplifiés, commentés et interprétés... par les journalistes. Peut-être, simplement, parce que ceux-ci savent inconsciemment reconnaître leurs créatures, même s'il leur faut, après avoir excité la bêtise de leurs lecteurs, s'en désolidariser ensuite. Vincent Duluc s'interroge ainsi sur cet "aveuglement qui pose la question de la culture sportive d'un pays", sans pousser l'analyse jusqu'à s'interroger sur le vecteur monopolistique de la culture sportive dans ce même pays…
Le quotidien sportif prend d'ailleurs un risque. Non pas celui de voir démasquer ses contradictions et sa mauvaise foi (ne rêvons pas), mais plutôt celui de se fâcher, en définitive, avec ses propres lecteurs, ceux qui adhèrent le plus à sa philosophie. Car le spectateur du Stade de France qui, mercredi soir, a défoulé ses propres frustrations sur Fabien Barthez n'a-t-il pas exactement le profil-type du lecteur (et du journaliste) de L'Équipe, enclin à dénigrer par principe le sélectionneur national, à brûler ce qu'il a adoré (ou ce qu'il va adorer), à se livrer au lynchage du faible, à la critique gratuite, au défaitisme, aux petites lâchetés anonymes?
À l'heure où le journal s'adonne à grand exercice d'autosatisfaction pour célébrer ses 60 ans, l'épisode a quelque chose de comique. Et quand Christophe Chenut, directeur de la publication, déclare à l'AFP "On a la plus importante et la meilleure rédaction sportive de la planète. 350 journalistes de sport qui ne font que cela toute la journée, cela donne une grande puissance d'analyse et de recherche d'info", il est difficile de réprimer un éclat de rire à la pensée de tous ces éditos écrits avec du jus de topinambour en guise d'encre, de tous ces articles qui s'aplatissent devant le G14 et ses porte-parole, de toutes ces polémiques infantiles qui croient user de la liberté de la presse, et de toutes ces indignations hypocrites vendues pour de la capacité critique…
Tartufe, écrivions-nous au début de ce texte? Si le personnage de Molière revenait aujourd'hui, il recevrait instantanément une carte de presse et une place de parking au 4, rue Rouget-de-Lisle, à Issy-les-Moulineaux.
source les cahiers du foot